Je me tiens devant une porte. Je suis dans le noir, et la porte est immense, plus longue que large. Elle est si haute qu’elle se perd dans l’obscurité. Par contre elle est très fine. Je pense que je ne pourrais pas y entrer de face. Il y a un heurtoir en forme de serpent. Elle est recouverte de dessins de serpents gravés dans le bois. Ils sont tous différents et dans différents états. Certains ont la bouche ouverte, prêts à attaquer leur proie, d’autres dorment ou sifflent. Et puis ils prennent vie. Ils bougent, se démènent pour sortir de la porte mais n’y arrivent pas. Leur sifflement me remplit les oreilles. De la porte s’échappe une odeur. Elle ouvre donc sur quelque chose. Pourtant j’en ai fait le tour et l’espace est vide. L’odeur me rappelle la nature, l’herbe fraîchement coupée, la forêt après la pluie. Et il y a un bruit, que je distinct malgré les sifflements des serpents. D’abord je pense au tonnerre, puis je réalise que c’est une cascade.
Je sens quelqu’un me pousser dans le dos vers les portes qui s’ouvrent lentement. Je suis poussée à l’intérieur et je me tourne pour voir qui est derriere moi, mais la porte s’est déjà refermée. D’ailleurs, il n’y a plus de porte.
Je suis dans une vallée chatoyante, avec des monts verts parsemés de taches de toutes les couleurs, comme les peintures des enfants qui utilisent des brosses à dents. La cascade que j’entendais se déverse dans un étang avec des nymphéas à ma droite. Des grenouilles me regardent avec des gros yeux depuis les feuilles de lotus. Un croassement leur échappe de temps en temps. Le ciel est bleu, avec quelques nuages par ci par là, poussés par un vent d’ouest. A côté de l’étang se dresse un chêne. Et sous ce chêne repose une tombe, sertie de fleurs. Je m’approche lentement, inquiète de déranger l’âme qui dort. Quand je suis assez proche, je remarque que la pierre est en bon état. Elle n’est pas recouverte de mousse et pourtant les dates inscrites commencent par neuf. Il n’y a pas de nom, juste des symboles représentant des étoiles et des fleurs. Je m’agenouille pour rendre hommage au corps enterré quand je vois un endroit où il n’y a pas de terre mais une vitre. Et sous la vitre se trouve une femme d’une beauté éternelle. Elle a l’air si paisible, endormie et non morte. Il me semble que je pourrais la réveiller en toquant dessus. Mais je n’ose pas.
Je reste là à la contempler longtemps. Quand je me lève, il fait nuit et les étoiles brillent et veillent sur elle.
La porte est revenue. De ce côté je peux voir qu’elle est sculptée dans un arbre et recouverte de mousse. Elle s’ouvre lentement pour m’inviter à sortir. De l’autre côté tout est si sombre. Cette fois, personne ne me pousse à sortir. J’avance de mon plein gré, sachant que je pourrais rester ici pour toujours. Avant de fermer la porte, je regarde une dernière fois le paysage et je suis presque sûre qu’il y a quelqu’un dans l’arbre, qui me dit au revoir. Je referme la porte et tout devient noir.
***
Tu ne veux plus…
Tu ne veux plus avoir à te justifier de ne pas être en couple à vingt-cinq ans.
Tu ne veux plus mettre du maquillage pour que les gens te trouvent en bonne santé. Tu ne veux plus avoir peur de marcher seule quand la nuit est tombée.
Tu ne veux plus mettre des jupes pour faire plaisir à ton patron.
Tu ne veux plus être siffler comme un chien dans la rue.
Tu ne veux plus sentir une main sur ta cuisse dans le métro, qu’il soit bondé ou non. Tu ne veux plus être refusé des travails parce que tu pourrais tomber enceinte.
Tu ne veux plus entendre les commentaires des hommes sur tes habits que tu as choisis pour toi, parce qu’il te faisait te sentir bien.
Tu ne veux plus entendre la question “t’as tes règles” quand tu es de mauvaise humeur.
Tu ne veux plus que les filles au primaire soient sur le classement des garçons “ qui a la plus grosse poitrine ”.
Tu ne veux plus être vue comme une pute parce que tu n’as pas attendu le mariage. Tu ne veux plus être traité de “garçon manqué” parce que tu as les cheveux courts. Tu ne veux plus voir ta tante qui te demande à chaque fois “ alors quand est-ce que tu nous ramènes un garçon à la maison ”.
Tu ne veux plus voir la tête surprise que font les gens quand tu leur dis que tu es ingénieure, ou mathématicienne, ou astronaute, ou cheffe cuisinière, ou athlète de haut niveau, ou architecte, ou physicienne, ou écrivaine.
Tu ne veux plus avoir à endurer les hommes et leur sexisme, la société et son système patriarcal, les femmes et leur misogynie intériorisée.