Cybersexualité : comment protéger les enfants et les adolescents

Amour, sexe et pixel.

Le titre d’un soap opéra version 2.0 ?

Plausible. Pourtant c’est l’intitulé de la conférence sur la sexualité numérique des jeunes que j’ai co-organisée avec l’association de parents d’élèves et la direction du collège de mes enfants début avril.

Vous êtes parent et intéressé de savoir ce qui se joue sur le portable ou la tablette de votre enfant en matière de sexualité ? Poursuivez votre lecture.

Deux chercheurs, l’un, Stéphane Blocquaux, docteur en Sciences de l’information et de la communication, spécialiste des problématiques liées à la surexposition des jeunes à la connectivité et aux écrans, l’autre, Renaux Hétier, docteur en Sciences de l’éducation, sont intervenus le temps d’une soirée au collège. Le but : nous aider, parents de pré-ados et d’ados, à explorer et analyser les phénomènes liés à la pratique du « cybersexe » par les nouvelles générations. Et nous outiller pour mieux protéger nos enfants.

Sentiment d’incapacité, ignorance, déni

Au fond, pas si facile de déplacer des foules autour de cette question qui, au mieux, nous interpelle face à nos modes d’éducation, nous renvoie à notre sentiment d’incapacité face à l’ampleur du problème, ou au pire, se heurte à notre ignorance voire à une forme de déni.

Or l’exposition à la pornographie des mineurs est une « colonisation » dans les mots de Renaud Hétier : le web étant par nature illimité, la diffusion des contenus à caractères pornographiques l’est aussi. C’est bien cette illimitation qui pose problème.

Alors, prêts à creuser la question ?

Je liste ici quelques-unes des idées fortes abordées lors de cette conférence choc, très documentée et présentée avec des prises de parole alternées par deux experts complémentaires. Des ouvrages et des ressources utiles seront cités plus bas.


Banalisation du « cybersexe », forme de liberté ?

Notre histoire individuelle, notre subjectivité influent sur la construction de notre sexualité. L’environnement culturel pèse, lui aussi, or la pornographie fait aujourd’hui partie de cet environnement. Les jeunes en sont spectateurs et la banalisent. Ils ont un discours libéré dessus. Leur appréhension de leur liberté d’ado passe par ce qu’ils voient, ils se conforment à ce modèle qui leur paraît désirable. Mais est-ce vraiment une manifestation de liberté ? en appréhendant la sexualité par ces images – des images de plus en plus violentes – sans émotions ni aspect affectif, ils passent à côté de leur désir authentique.

L’humain est-il fait ainsi ? peut-on jouer avec son corps en étant complètement détaché de soi-même ? à la clé, il y a souffrance, soit parce qu’on s’attache, soit parce qu’on est pris pour un objet.


Quelle construction de l’intimité ?

Avec l’exposition banalisée au cybersexe, l’intimité semble avoir disparue chez les jeunes avant même que leur intimité ait pu être construite. Or il faut se sentir en sécurité pour entrer dans une relation et dans cette intimité.

Le travail du fantasme, de la rêverie, la capacité à produire ses propres images – des images qui nous conviennent – sont stoppés nets. Avec la colonisation pornographique les images ne sont pas choisies. Elles s’imposent. Il n’y a plus d’imaginaire.


Inefficacité du cadre légal

Le cadre légal reste encore insuffisant pour limiter efficacement l’accès des mineurs aux sites pour adultes : malgré quelques timides avancées, les restrictions liées à l’âge de l’internaute restent facilement contournables (usage largement répandu des VPN, du navigateur Tor etc.).

Le ministère du numérique a annoncé début 2023 un plan de contrôle de la diffusion d’images pornographiques sur le net afin de faire enfin respecter la loi française. Mais s’agissant du web, la mise en place d’un dispositif fiable risque de prendre du temps…

L’industrie du jeu vidéo n’est pas moins hypocrite : 1ère industrie cultuelle, elle aussi véhicule des images sexuelles et violentes et se contente d’afficher des mentions vides de sens comme « déconseillé aux moins de 16 ans »…


Protéger un enfant, c’est contenir avec des limites

Mais au-delà d’une protection des mineurs assurée par un hypothétique cadre légal, se pose la question de l’éducation.

Nous n’aurions pas pu évoluer dans la civilisation si nous n’avions pas franchi des limites. Il y a chez l’humain cet affranchissement des limites naturelles, pour le meilleur – la technologie, la médecine, l’art… – et pour le pire – la bombe atomique, les génocides, la technique qui induit déchets et surproduction… Alors que notre société développe tous les possibles, faut-il réfléchir à mettre une limite à nos jeunes ?

L’éducation consiste à prendre en charge deux aspects : d’une part soutenir la capacité de développement d’un enfant (savoir, compétences) et d’autre part, le contenir avec des limites (respect de soi, de l’autre, de sa liberté). Aujourd’hui beaucoup de parents sont sur cette dimension de soutien du développement de leur enfant mais négligent les limites. On ne contient pas assez nos enfants. Or l’illimitation du numérique évoquée plus haut est quantitative (la place toujours plus grande qu’il occupe dans nos vies) et qualitative (les images toujours plus violentes en libre accès)…


Commencer par le contrôle de la box internet

La discussion sur le fond est complexe, parfois clivante, et demande aussi du courage pour se positionner en tant qu’adulte issu d’une autre génération face à ce raz-de-marée.

C’est pourquoi Stéphane Blocquaux termine son intervention avec un kit d’outils et de ressources d’e-éducation incontournables. En voici quelques-uns :

  • Garder le contrôle de la box internet. Les fournisseurs d’accès offrent tous des interfaces (ou applis) pour instaurer des limites de temps de wifi par appareil (téléphones portables, ordis, tablettes etc.), par ex. Ma livebox chez Orange
  • Rester en veille. Par ex. Une tendance bien installée est celle des sites de rencontres pour ados, type rencontre-ados.net, qui s’adressent aux jeunes dès 13 ans, cible idéale des prédateurs…
  • Utiliser les ressources de Jeprotegemonenfant.gouv.fr , plateforme d’information et d’accompagnement à la parentalité numérique
  • Dialoguer avec son enfant pour déconstruire les idées et les croyances véhiculées par les contenus sexuels ou violents, avec des films de qualité à l’appui comme « Préliminaires » de Julie Talon (Arte France) ou la série pédagogique « Ados : le porno à portée de clic » (Lumni)
  • Préserver l’enfance : le dispositif de filtrage SafeSearch de Google qui filtre le contenu explicite à activer avec un compte Google.

 

Le meilleur bouclier : la construction d’une bonne estime de soi

Et Renaud Hétier de rappeler cette feuille de route de première importance :

Tout d’abord, vivre ensemble dans une famille, c’est éviter les dérives numériques, avec l’ordinateur placé dans un lieu de vie et non pas isolé dans une chambre, une box internet contrôlée.

Et puis, construire un psychisme suffisamment étanche. Savoir mettre l’exposition porno à distance grâce à la construction d’une bonne estime de soi. Cela passe par une qualité de relation parent-enfant, sans uniquement se fixer sur la réussite scolaire mais aussi en valorisant tout ce en quoi s’investit l’enfant.

L’estime de soi fait dire à la personne qu’elle mérite quelque chose de plus : être aimé, apprécié, estimé. Un bouclier qui porte vers le haut.

Ces deux experts sillonnent les collèges-lycées partout en France pour éduquer les élèves comme les adultes et les aider à lutter contre toutes les formes de cyber-violence.  Directeurs d’établissements scolaires, éducateurs, associations de parents d’élèves, professionnels de la santé peuvent tous faire appel à cet accompagnement essentiel.

 

👉 Le site de Stéphane Blocquaux : https://blocquaux.fr/

👉 Un ouvrage à lire : Le biberon numérique – Le défi éducatif à l’heure des enfants hyper-connectés (éd. Artège)