Textes produits en atelier d’écriture – juillet-août 2023

🖌 Emma, 14 ans

Détenus

 

J’observe autour de moi.

En face de moi, il y a des jumeaux. Un garçon et une fille.

Le garçon porte des vêtements simples, et tient dans ses mains un téléphone, sans pour autant le regarder. La fille, elle, customise tous ses vêtements, est en train de coller des badges sur son sac à dos. Ils sont tous les deux blonds, aux yeux verts, les joues parsemées de taches de rousseurs.

Plus tard, c’est la surprise qu’ils exprimeront exactement en même temps, la voix de la fille légèrement plus aiguë que celle de son frère.

A ma gauche, il y a une femme. Elle est rousse ; ses cheveux sont courts et lui arrivent aux épaules. Elle semble ennuyée. Quand elle parle, on dirait qu’elle vient de se réveiller.

A ma droite, il y a un homme. Âgé, brun, portant une chemise rouge, les yeux rivés sur son téléphone. Quand l’homme parle, sa voix neutre et grave emplit toute la pièce.

C’est à ce moment-là que je remarque des plaques, avec leurs prénoms. La femme rousse se nomme Clara, l’homme Dave. Et les jumeaux, Charles et Maëlys.

Je me lève, et je vais voir les deux seules personnes de mon âge dans cette pièce, les jumeaux.

Je m’approche et je dis :

– Salut, je m’appelle Zeïla. Heu, vous savez pourquoi on est ici ?

Les jumeaux me regardent et le garçon, Charles, dit :

– On ne sait pas…

– On nous a juste demandé de venir ici, dit sa sœur, ne quittant pas des yeux son ouvrage.

Charles me sourit et son geste me détend. Je le lui rends.

Leur façon de parler me fait rire, c’est très comique à entendre, on dirait qu’ils partagent le même cerveau.

– Et, hum, sans vouloir être indiscrète, vous parlez tout le temps comme ça ?

Cette fois c’est juste Maëlys qui me répond, levant les yeux vers moi :

– Ça nous amuse et ça désespère les adultes ! Surtout à l’école, mais si tu veux, on peut parler « normalement » (elle fait des guillemets avec ses doigts).

– Ou alors on fait comme d’hab, lance Charles, les yeux rivés sur nous.

Je hausse les épaules. Mais je suis contente, au moins je ne suis plus seule.

Soudain, une porte s’ouvre à la volée et je cours regagner ma chaise.

Une femme entre. Elle est grande, blonde, et a un air sévère.

Elle se place au milieu de nous tous. Dave range enfin son téléphone et Clara relève la tête, intriguée.

– Bien, bonjour à tous, dit la femme. Comme vous le savez, ou pas, ce n’est pas par hasard si vous êtes ici. Il va falloir que vous soyez réactifs à ce que vous allez entendre.

Je n’écoute plus, perdue dans mes pensées. Qu’est-ce qu’on peut bien attendre de moi ? Et pourquoi ? Nos vies sont-elles en jeu ?

– J’ai capturé un membre de votre famille à chacun et pour les retrouver vivants, vous allez devoir m’écouter.

Cette phrase me glace le sang et me ramène immédiatement à la réalité.

Je reste sous le choc, bouche ouverte.

Une rage inhumaine s’empare de moi et j’ai envie d’étrangler cette femme. Comment peut-elle nous dire ça si calmement ?!

Je regarde les autres.

Dave marmonne des propos incompréhensibles, la tête dans les bras. Clara, soudainement réveillée, se rue sur son téléphone et je l’entends murmurer : la police, il faut appeler la police !

Mais la femme le lui prend avec une rapidité assez incroyable et le range dans sa poche.

Maëlys est en larmes, et Charles est sous le choc, comme moi, et sans doute en colère.

Malgré tout un doute s’insinue en moi et je me sens ridicule d’avoir agi comme ça.

Je dis :

– Et comment être sûrs que vous nous dites la vérité ?

Silence. La femme ne dit rien. A partir de ce moment-là, elle exige beaucoup de nous.

Nous avons découvert que cette femme, qui se nomme Mathilde, a déjà tout prévu et souhaite que chaque jour l’un de nous aille en ville avec un objectif précis. Et si on ne le fait pas, nous ne reverrons plus jamais nos proches.

Quand ça a été au tour de Clara de partir pour la ville, Mathilde nous montre sur un écran des vidéos de nos proches prisonniers, via une caméra de surveillance.

Mes parents étant morts dans un accident de voiture c’est ma tante que je vois emprisonnée.

Pour Clara, c’est son neveu. Pour David, son père. Et pour les jumeaux, c’est leur mère.

Dès que nous avons vu nos proches ligotés, nous avons tous pleuré, et nous lui avons obéi, craignant pour la vie de nos proches.

Les uns après les autres, nous avons maintenant effectué nos « missions ». Elle nous amène devant une porte noire. La porte s’ouvre dans un grincement. En file indienne, on avance tous prudemment, dans une pièce sombre, les mains devant nous pour ne pas nous cogner.

Une lumière vive s’allume brusquement, nous aveuglant pendant quelques minutes.

Une fois mes yeux habitués à la lumière je découvre enfin la pièce. C’est la même qu’au début.

Je souffle et avance vers le milieu. C’est fini ? Après tout ce qu’on a fait, c’est vraiment fini ?

Je me tourne vers Mathilde, debout dans l’encadrement de la porte et demande :

– Où sont-ils ? Vous nous avez promis que dès que tout cela serait terminer, nous pourrions les revoir !

Je serre les dents. Dave lance :

– Elle a raison, la gamine ! Alors ?

Clara, qui ne parle pas beaucoup, s’approche de Mathilde. On peut lire de la colère dans ses yeux, et un peu d’incompréhension.

– Attendez, on a fait plein « d’épreuves » à la noix, on a traversé toute la ville et vous…, commence Charles, mais il perd ses moyens et c’est Maëlys qui termine :

– Vous nous aviez promis et on a été bête, très bête.

Je suis totalement d’accord avec eux ! Il faut que tout cela cesse, et maintenant.

On avait perdu suffisamment de temps comme ça.

Mathilde ne dit rien et nous regarde tous, et j’ai très envie de la gifler.

– Je sais ce que vous ressentez…

– MENTEUSE ! hurlent Charles et Maëlys.

– Mais c’est faux. Tout est faux. Vos proches ont fait exprès.

Complètement abasourdie je titube jusqu’à tomber sur une chaise. Comment ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Clara gifle Mathilde. Tout le monde retient son souffle. Mathilde ne réagit pas. Lentement, elle s’approche du sol, prend un seau posé sur une chaise et renverse son contenu par terre.

Sous nos yeux ébahis, des lettres apparaissent. Rouges. Comme le sang.

Ma respiration se bloque, je suffoque et me lève brusquement, si brusquement que ma chaise tombe par terre.

Le regard rivé sur le sol, je déchiffre le message :

La vérité peut aussi être le mensonge

Photo : Jeff Kingma sur Unsplash

***

🖌 Leia, 12 ans

Dans l’assemblée se trouvent toutes les personnes de l’organisation. Je les regarde une à une, en commençant tout d’abord par mon amie, Ashley. Une femme élancée aux cheveux soyeux qui tombent en cascade sur son dos, ses yeux verts pétillants dégagent une lueur étrange ces derniers jours. Habillée d’un simple jean et d’un pull gris, elle se fond dans la masse. J’observe alors Owen, un homme très grand (environ un mètre quatre-vingt dix). Lui aussi est vêtu simplement aujourd’hui, comparé aux autres jours où il portait des vêtements colorés à en perdre la vue. Il a une belle peau mate, des yeux d’un noir profond et une expression fermée qui nous donne la chair de poule. William prend alors la parole. Ses cheveux bruns sont toujours plaqués en arrière, lui donnant un air de trentenaire avant l’heure. Avec en plus de cela une chemise et un pantalon de costard, ce qui le rend encore plus vieux. Il se tient droit et articule particulièrement bien son petit discours.

Mais cette prise de parole est interrompue par la venue des frères jumeaux, Lewis et Evans, qui entrent en trombe dans la pièce avant que Lewis vocifère, fou de rage :
-Je peux savoir ce que vous faites dans mon bureau !? Je vous signale que vous en avez un pour chacun d’entre vous !
William fait volte-face avant de lui répondre froidement :
-On prévoit un plan contre l’organisation ennemie si cela t’intéresse. Vous pouvez vous joindre à nous si vous le souhaitez…
-On en a déjà fait un il y a de cela deux jours. C’est un non catégorique donc dégagez de là maintenant, répond Lewis encore plus furieux qu’avant.
Mais son frère n’est pas du même avis et le lui fait savoir d’une tape sur l’épaule avant de le lui chuchoter.
Contre toute attente, ils s’assoient à leurs tours sur les fauteuils face à nous, l’un affichant une mine révoltée et l’autre une mine victorieuse d’avoir vaincu son frère.
-Je te préviens, William. Si tu te fiches de moi, oublie le lien de sang qui nous unit et prépare-toi à mordre la poussière, rétorque une dernière fois Lewis en croisant les bras sur son torse.
La principal intéressé lui offre un sourire intimidant avant de reprendre la parole.

J’observe Lewis avec beaucoup d’attention. J’avais découvert un secret dont je ne connaissais pas l’existence jusqu’à aujourd’hui. Je décide de me lancer en commençant par une simple question :
-Comment êtes-vous devenus ennemie avec l’organisation voisine alors qu’il y a trois ans, vous étiez alliés à eux ?
Un silence de mort envahit la pièce, créant une tension des plus palpables. J’attends patiemment une réponse avec un sourire innocent. Mais aucune ne vient. Impatiente, je pose brutalement un classeur rempli de feuilles que je cachais dans mon sac depuis un petit moment, avant d’annoncer :
-Voici le dossier comportant la mort de vos parents, les Rogers. Photos, témoignages, casiers judiciaires, preuves, tout y est.
Owen et Ashley écarquillent les yeux tellement la révélation est choquante tandis que William et Evans baissent honteusement la tête. Tous sauf Lewis qui attend que je termine mon discours. Je remarque alors que seule la famille Roger est au courant de la situation.
-Je vais vous faire un petit résumé, dis-je en m’adressant à mes amis, tout s’est passé le soir du 24 Novembre. La mère de Lewis venait d’accoucher de son septième enfant. Mais pendant que les parents discutaient de l’héritage, Lewis, caché derrière eux, entendit une phrase qui ne le laissa pas indifférent : « Nos enfants sont trop sentimentaux, cela les rendent faibles. S’ils arrivaient à tuer leurs géniteurs, ils seraient prêts à diriger notre organisation ». Après qu’il eut écouté cette conversation, alors que toute la maison dormait, il massacra ses parents sans pitié.

Pour preuve, je sors une photo où sont représentés les corps inertes de leurs parents et la jette sur la table. Mes amis sont les premiers à l’inspecter, complètement bouleversés. Pendant ce temps, je regarde le meurtrier de l’affaire qui a changé d’attitude. La mâchoire contractée, il serre les dents pour ne craquer et exploser mon crâne d’une balle entre les deux yeux. Il me fusille du regard, prêt à me trancher la gorge. Au même moment, Owen se tourne vers lui et lui dit, ahuri :
-Pourquoi as-tu fait cela, Lewis ?
Un rire jaune s’échappe des lèvres du jeune meurtrier, avant qu’il rétorque :
-De toute façon, qui se souciait de moi à l’époque ?

Soudainement, des détonations de balles fusent dans l’air et la seconde suivante, les baies vitrées éclatent en mille morceaux laissant les projectiles entrer à l’intérieur du bureau.
-À TERRE ! hurle Evans en se jetant au sol emmenant son jumeau dans sa chute.
Nous suivons son ordre en nous mettant à terre, nous blessant au passage par les bouts de verre. Nous restons ainsi pendant plusieurs minutes avant de remarquer un point rouge clignoter de plus en plus vite dans un bruit de compte à rebours. Je cède à la panique. C’est une bombe.
-Il faut sortir de là ! MAINTENANT !

Sur ce, je sors suivie de mes compagnons. Lorsque le dernier quitte le bureau, le bruit d’une explosion nous assaille comme un ouragan, nous faisant projeter en arrière. Je tombe lourdement au sol, remarquant à ma grande surprise que le hall est entièrement saccagé. Les vitres sont brisées, les décorations parties en fumée, les corps des employés inertes et les détonations qui continuent de me rendre folle. La respiration saccadée, mes muscles refusent de bouger tant que les balles n’ont pas arrêté de voler dans tous les sens. Ma vue s’embue, me faisant voir trouble. Je déteste le bruit des détonations. Soudain, le bruit se couvre d’une enveloppe artificielle, me couvrant l’ouïe d’une protection. Une pression inhabituelle me frappe de plein fouet. Je tapote dessus et découvre la présence d’un casque anti-bruit sur ma tête. Mon angoisse et ma panique s’envolent aussitôt. Je fonce tout droit vers la sortie de secours qui se trouve à l’autre bout du QG. Les autres me suivent sans broncher. L’inquiétude de se prendre un projectile en pleine tête peut rendre fou les plus calmes. Mais au moment où nous passons la porte, mon sang se glace complètement. Des hommes se tiennent là, armés jusqu’aux dents, tatoués de la tête aux pieds et nous fixant froidement. L’un d’entre eux est visiblement le chef, normal avec sa carrure imposante et son regard d’acier à en avoir la chair de poule.
-Comme on se retrouve, mes chers Rogers. Me reconnaissez-vous ? Dit-il d’une voix profonde.
Cet homme est clairement flippant avec sa cicatrice qui commence au niveau de son sourcil droit et qui termine sa course sur sa joue gauche. Ce qui lui a couté son œil droit.
-Pas besoin de savoir qui tu es, on te reconnait même à quatre-cents kilomètres d’ici, répond l’aîné sur le même ton.
L’homme rit puis pose subitement son regard sur moi. Je tressaille. Il fait vraiment peur.
-Une femme qui a peur des balles. Décidément, on aura tout vu chez vous…
Mon sang ne fait qu’un tour, comment ose-t-il dire cela alors que son organisation est remplie de brutes assoiffées de pouvoir ?
Avec le reste de sang froid que j’ai, je dégaine mon arme et vise son front qui est à découvert.
-Je vous déconseille de vous moquer de moi… Soufflé-je en serrant des dents.
Il m’imite et me répond d’une voix qu’il voulait impassible, mais sans succès :
-Pareil pour vous, Mademoiselle Cooper…

Ma mâchoire est à deux doigts de se décrocher tant la stupéfaction me rend confuse. Comment connait-il mon nom ?
Je le lui fait remarquer et il me rétorque d’un ton enjoué, presque euphorique :
-Je connais des choses que personne ne connait de toi, Megan.
Sans hésiter une seconde, je tire une seule balle qui me fait basculer en arrière sous l’envoie de celle-ci. Une odeur de poudre m’agresse les narines me donnant l’horrible sensation d’avoir fumé alors que je ne l’ai jamais fait.
L’impact de l’obus arrive à quelques millimètres de son oreille. Raté. Pourtant, je n’ai jamais manqué une seule de mes cibles.
Je regrette instantanément mon acte lorsque des balles volent dans l’air, créant des impacts dans les murs derrière nous.
Mes compagnons sortent eux aussi leurs armes et prennent pour cible les ennemis. Je n’entends toujours rien mais j’ai parfaitement conscience de la situation qui est tout simplement périlleuse. Je les imite, tirant sur tout ce qui bouge en prenant la peine de vérifier si je vide mes cartouches sur un antagoniste et pas un de mes alliés.
Du sang gicle, décorant le paysage de sa couleur écarlate sur les murs. Les corps gisant sur le sol me font hausser des sourcils. Pour des brutes, ils ont l’air plutôt inoffensifs… Je m’aperçois alors que leur leader n’est pas parmi eux et observe attentivement les alentours jusqu’à le trouver. Il est bien amoché. Une énorme plaie traverse son ventre, faisant couler une marée de sang sur le béton pendant qu’il en crache, près à vomir ses tripes. Cela me semble tellement simple que je me mets à douter sur ce qui se passe… Je vois que tout le monde discute de quelque chose mais impossible de comprendre à cause de mon casque. Je l’enlève et entends les cris de rage du chef ennemi qui est sur le point d’agoniser. Je vois quelqu’un devant l’homme, je plisse des yeux pour le scruter de plus près et reconnais la carrure imposante de Lewis, un couteau dans la main. Une atmosphère pesante s’installe autour de nous. Brusquement, la sonnerie de mon téléphone retentit dans toute la zone me faisant sursauter violemment. Je décroche et chuchote un « allô » gêné, sans vérifier le nom du contact.
-Rentre chez toi maintenant. La première étape est terminée, Narcisse…
Intérieurement, un sourire narquois étire mes lèvres mais extérieurement, j’affiche tant bien que mal une expression apeurée. Je raccroche et annonce la «mauvaise» nouvelle.
-J’ai un mauvais pressentiment. Il faut retourner immédiatement chez nous. Quelque chose se trame…
Quelques minutes plus tard, nous arrivons devant la maison qui est visiblement éteinte de toute vie et de lumière. Nous entrons dans le hall, pistolet en main. Le silence règne de toute sa splendeur, nous angoissant encore plus que nous ne le sommes déjà. Doucement mais sûrement, je recule à pas de loup le plus possible quand soudain, une main inconnue me bâillonne pendant que je me débats furieusement, alertant mes amis. Ces derniers font aussitôt volte-face près à tirer. Mais ils baissent leurs armes lorsqu’ils voient la position dans laquelle je suis. Casque sur les oreilles, impossible d’entendre quoi que ce soit. Puis je vois un trou noir, troublant l’entièreté de ma vision.

J’avais réussi mon plan à la lettre. Que le vrai combat commence…

***

🖌 Marie-Camille, 15 ans

La plage

 

Aujourd’hui, Colette, Jacques et moi avons décidé d’aller à Deauville pour être près de la mer et profiter du beau temps si rare dans la région. J’ai emporté mon appareil photo pour pouvoir photographier ces paysages non-urbains. Nous arrivons à la plage quasi déserte. Seuls quelques pêcheurs bordent les flots paisibles. Nous posons notre bidon d’eau et nos quelques provisions à notre emplacement favori. Colette me sourit. Il fait beau. C’est la journée idéale pour une baignade. Colette s’allonge sur la plage de sable fin. Ses cheveux s’entremêlent dans la force du vent. Soudain, elle se met à tousser. Elle s’agite par terre, haletante, frémissante, vomissant son repas matinal. Puis, d’un coup, elle s’arrête. Elle est figée, et Jacques se penche, inquiet. Je prends alors un cliché et j’accours, observant le corps inanimé de Colette.

– Jacques, demandai-je, connais-tu la procédure de réanimation ?

Il secoue la tête. Je lui demande de se décaler et je prends le pouls de Colette. Son cœur bat. Elle vit. Je place ma main sur sa bouche et sens l’air chaud qui en découle. Elle respire. Je m’écarte.

Au bout d’un moment, ses paupières s’ouvrent. Elle se relève, tourne la tête et sourit.

– Merci.

Je l’aide à se mettre debout et nous continuons la journée jusqu’à ce que nous nous épuisions et que nous décidions de rentrer.

***

🖌 Rebecca, 12 ans

Découverte

Ding ! La porte s’ouvre. Mes yeux sont éblouis. La pièce est baignée de lumière. Les gens sont bien assis dans un fauteuil de velours turquoise, par ici, par là. L’ambiance pourrait être zen grâce aux multiples plantes installées un peu partout mais le brouhaha est tellement fort que c’est impossible. Un monsieur moustachu joue au solitaire, en même temps que de fumer une cigarette et de lire son journal. Une dame au long manteau rose fluo s’approche de Myla et moi. Elle caresse de ses longs doigts la crinière du chat de ma copine, Lion.

– Bienvenue Mesdemoiselles, voulez-vous quelque chose à boire, à manger, un coussin ou une couverture ?

– Ça va pour le moment, merci ! Ou si, attends ! Je veux bien un ice-tea !!!

Mon amie doit toujours répondre par un NON catégorique avant de dire oui. C’est comme ça. En tout cas, je comprends mieux pourquoi elle se trouve dans son élément ici. Elle aussi est un peu spéciale. Elle se promène avec Lion, un faux lion (c’est juste un chat déguisé). Pour en rajouter, elle s’est fabriqué des cornes en plastique. Question héritage, des dents de vampire de son père et un miroir qui  montre l’âme de sa mère. Dit comme ça, elle est terrifiante mais en vrai elle n’est pas méchante. Aujourd’hui c’est son anniversaire et elle a insisté pour m’amener au « parc d’attractions pour vieux » où elle joue au solitaire tous les samedis à 14h43 précise. Et me voici !!!

– Lyla ! Viens, je vais te présenter tout le monde !

Lyla c’est moi. On s’appelle presque pareil, je sais ! Mais on aime bien. Je la suis, intimidée par tous les regards qui me fixent et me jugent.

– Voici Mister Bière. Il s’appelle comme ça parce qu’il boit de la bière même au petit-déj.

– Enchantée, je… je… Bref, moi c’est Lyla.

Il me lance un regard noir. Myla, gênée, me prend à l’écart.

– Ici, ça ne fonctionne pas comme ça, tu n’es pas à l’école ! Pour te présenter, il suffit de lever les yeux vers les nuages.

Je la dévisage. J’hallucine.

Elle m’entraîne vers un groupe de gens. Dans ma tête, je me répète, lever les yeux vers les nuages, lever les yeux vers les nuages, lever les yeux vers les nuages… Je m’approche et lève les yeux. Ils font de même. Soulagée, je continue les présentations. Après 30 minutes, je réclame une pause aux toilettes. J’entre me rafraichir le visage quand soudain j’entends que quelqu’un m’enfermer à l’intérieur. Je me précipite vers la porte mais rien à faire.

De chaudes gouttes coulent sur mes joues. Je pleure. Assise sur les genoux, dans un coin, je continue de déverser mes larmes. Ma tristesse se mêle de colère, puis de rage. J’en ai marre, je n’en peux plus. La partie diable de mon corps s’échappe, fuit, existe. Je ne la retiens pas et la laisse sortir. Je cris. J’hurle.

– Je ne suis pas dans une aire de jeux pour les vieux je suis dans un asile pour les fous !!

– Et oui, Poupée ! Ils le sont tous un peu ici.

Je ne suis pas seule.

– Personne ne t’a prévenue que le samedi 31 mars à 15h16, ils ferment la porte des toilettes pour faire un feu de camp devant.

– Qu…quoi ? Et puis toi, t’es qui ? Enfin… bref ça dure jusqu’à qu’elle heure ?

– Ça se termine vers 16h45. Et moi c’est Steven, le fils de Mister Bière. Il vient toujours ici et m’emmène avec lui. Je déteste cet endroit, c’est pour ça que je me réfugie dans ces toilettes.

Je suis sur le point de m’évanouir, ou de le gifler, mais sa voix a un tel charme que je suis comme paralysée.

– Et toi, Poupée, comment tu t’appelles ?

– Poupée… hmmm non, pas du tout… moi c’est Lyla.

Il se rapproche de moi. Je découvre son visage. Des cheveux bouclés couleur paille, des yeux verts et un nez bien modelé couvert de taches de rousseurs. Tout droit sorti d’un rêve ! Un hématome couvre une grande partie de sa joue gauche. C’est une magnifique tempête de couleurs, un vrai spectacle pour les yeux. Du bleu, du violet, du noir se mélangent. Peut-être s’était-il battu ? Était-il courageux ? Surement ! Il m’attrape la main, sort son téléphone et prend un selfie. Surprise et rassurée, je lui fais confiance. Je remarque qu’il cligne souvent de l’œil droit.

Il m’entraîne. Il danse. Je l’accompagne .

Je commence à me sentir chez moi ici. Peut-être suis-je un peu folle moi aussi, mais alors à ma manière.

J’aime ça et je suis fière de l’être !

***

🖌 Emma, 13 ans


Le cercle de parole

La salle était mal éclairée. Je m’assis sur le dernier siège vide, à côté de la fenêtre.

A ma droite il y avait une femme aux cheveux bleu électrique. Elle portait une veste en cuir noir et des têtes de mort en guise de boucles d’oreilles. Elle se tenait droite et avait un air austère. J’imaginais sa voix rauque et grave mais, lorsqu’elle prit la parole, je fus étonné du contraire. En effet, elle avait une voix aux aspects mélodieux et un léger accent italien.

A côté d’elle se tenait un vieil homme d’allure très âgée, étant donné ses habits et le fait qu’il ne semblait pas comprendre la raison de sa venue. Il avait l’air déconcerté, avec ses cheveux quasi-inexistants et ses dents en avant. Il s’exprimait d’une voix rapide et aigüe et s’agitait dans tous les sens.

A sa droite se tenait un grand homme, les bras couverts de tatouages. Il essayait tant bien que mal de se tenir droit malgré sa masse corporelle. Il faisait bien deux mètres, mais il semblait ne pas pouvoir faire de mal à une mouche et parlait d’une voix tranquille.

Malgré cela, la fillette rousse assise à côté de lui semblait clouée de peur. Elle avait des yeux doux et semblait aussi fragile qu’une poupée de porcelaine. Ses cheveux semblaient voleter derrière elle comme des fils d’araignée rouge vif. Cependant, elle parlait d’une voix forte et vive dont je fus surpris durant un long moment.

 

Une fois le cercle de parole terminé, j’allai voir la jeune fille rousse. Elle paraissait ne pas avoir plus de dix ans, ce qui était légèrement contradictoire avec le thème de ce cercle de parole. En effet, j’avais du mal à croire que cette fillette soit venue pour arrêter de fumer… Je m’approchai doucement d’elle et lui demandai :

– Excuse-moi mais comment t’appelles-tu ?

Elle me regarda avec ses yeux doux et me répondit :

– Isabelle, pourquoi ?

– Isabelle, pourquoi es-tu venue dans ce cercle de parole ?

– Pourquoi, toi, tu es venu ?

Je la regardai un long moment et, après avoir vu une grande innocence dans ses yeux, lui dit :

– Ce cercle de parole a été créé pour les personnes qui veulent arrêter de fumer… et toi tu ne fumes pas n’est-ce pas ?

Elle écarquilla ses grands yeux bruns et me répondit d’un ton vif :

– Je me disais aussi que ça n’avait pas vraiment de rapport avec ce que j’étais venue faire…

Puis d’un geste, elle sortit un petit manuscrit sur lequel était écrit « parc d’attraction en intérieur ».

– C’est bizarre, hein ? dit-elle. Puis voyant mon air déconcerté, elle se mit à rire d’un rire mélodieux et enfantin.

J’appris par la suite que la femme aux cheveux bleus se nommait Alice, qu’elle faisait des études en biologie, et qu’elle était d’origine italienne. L’homme imposant, Maurice, était très renfermé et disait être PDG d’une grande entreprise. Le vieil homme se nommait Henri. Il était magicien, et me l’avait bien fait comprendre à l’aide d’un tour de magie fabuleux. Enfin la petite fille, Isabelle, avait trouvé le prospectus qu’elle m’avait montré dans sa boite aux lettres, et avait décidé de se rendre à l’endroit indiqué. Elle s’était bien sûr rendue compte que ce n’était surement pas le bon endroit, mais avait décidé de rester pour voir les tours de magie d’Henri, ce qui, d’après elle, était mille fois plus amusant que ce soi-disant « parc d’attraction » …

Des jours passèrent, et je me liai d’amitié avec Alice. De toute façon, je n’avais pas le choix, elle était la seule personne avec qui on pouvait parler dans ce lieu, étant donné le fait qu’Isabelle regardait les spectacles de magie d’Henri, tellement occupée à déceler la logique de chaque tour, qu’il était impossible de communiquer avec elle, à moins que l’on aime parler seul… Malgré tout, le fait de parler à cette Italienne punk ne me déplaisait pas pour autant. En effet, elle était douce, attentionnée et très drôle à écouter.

Enfin bref, cette routine se poursuivit durant de nombreuses sessions, puis, un jour, la porte s’ouvrit, laissant apparaitre une nouvelle silhouette dans son encadrement. C’était un homme qui passa la porte au pas de course, semblant ignorer qu’il n’était pas seul dans cette pièce. Tout à coup, les lumières s’éteignirent toutes en même temps et nous entendîmes le nouveau venu pousser un cri de stupeur, trébucher, puis s’affaler par terre dans un craquement sinistre. Les lumières se rallumèrent aussi soudainement qu’elles s’étaient éteintes et la scène qui se dessinait sous mes yeux me fit éclater de rire : l’homme qui avait pénétré dans la salle quelques instants plus tôt, était maintenant affalé sur Maurice, se massant l’arrière du crâne comme pour essayer d’apaiser la douleur d’une quelconque bosse. Lorsqu’il vit Maurice, grognant de rage et affalé sous lui, il se redressa aussitôt, recula brusquement, les yeux écarquillés et, contre toute attente, marcha sur l’un de ses lacets défaits et, après un autre cri de stupeur, se retrouva à nouveau affalé par terre. C’est alors que je le vis plus clairement. C’était un jeune homme qui avait à peu près mon âge. Il avait les cheveux brun clair, mi-longs, les yeux noisette tirant sur le rouge grenat et la peau claire, qui, après qu’il eut remarqué notre présence, était devenue blafarde. Il portait une chemise déchirée aux poignets, un large pantalon bleu marine, et des baskets rouges et blanches. Pendant un long moment où j’essayais tant bien que mal de comprendre la raison de sa venue, je me rendis compte qu’un silence de mort pesait sur la pièce. En effet, je devinais à leur expression que chacun essayait de déceler la raison de sa présence.

Je pense qu’il l’avait remarqué aussi, car il se leva d’un bond. Il nous observa l’un après l’autre et me tendit brusquement la main.

– Enchanté je m’appelle Edward Brown, officier de police. Vous pouvez m’appeler Mr Brown.

Je regardais sa main avec une incompréhension totale : je ne savais vraiment pas ce qu’un officier de police faisait ici… Soudain, Maurice prit la parole :

– Si vous êtes vraiment de la police, pourquoi êtes-vous entré ici comme si vous étiez poursuivi, Mr Brown ? dit-il en exagérant sur le dernier mot qu’il avait prononcé.

– Oh ça ! C’est une longue histoire… bredouilla le jeune homme.

Mais Maurice le regarda d’un air si perçant, qu’il était bien obligé de répondre. Il hésita et dit :

– Je me suis fait courser par des bandits que je devais arrêter… De toute façon, ce n’est pas important. En vérité, je suis ici pour vous informer que l’enquête a pris fin.

Décidément, cet Edward Brown n’avait pas fini de me surprendre…

– L’enquête ? répondis-je hébété.

– Reprenons depuis le début, me répondit-il. N’avez-vous pas remarqué que vous étiez tous là grâce à un courrier postal ?

Nous nous regardâmes tous avec une incompréhension totale. C’était bien mon cas mais j’ignorais que les autres étaient ici pour des raisons identiques… J’avais en effet reçu une lettre par la poste, juste avant mon arrivée, m’expliquant ceci : je devais aller chaque jour dans ce soi-disant « cercle de parole », sans quoi j’aurais droit à la peine de mort. En revanche, si j’y allais comme convenu, l’on m’enverrait un million d’euro par la poste. Rien que ça…  Je devais également dissimuler ma présence ici en me faisant passer pour une simple personne qui voulait arrêter de fumer. Bien sûr je n’avais jamais fumé. Je trouvais l’odeur de la cigarette tout bonnement ignoble et m’était promis que je ne m’en servirais jamais. Cependant je devais jouer le jeu. Isabelle, quant à elle, n’ayant pas l’âge de fumer, s’était vue recevoir une invitation à un parc d’attraction en intérieur.

– Ha ha ! Eh oui. Tout cela, les lettres, la peine de mort, l’argent, tout cela est une manigance de la police.

Je me mordis les lèvres de désarroi. Je m’en voulais tellement d’avoir été naïf à ce point !

– Mais alors, nous ne risquions pas la peine de mort ? demanda Henri.

– Hé non ! Mais je suis d’accord que le motif de la peine de mort était un peu extrême… Je l’ai dit à mon chef mais il m’a dit vouloir faire avancer l’affaire. Personnellement je le soupçonne d’être légèrement sadique…

– Mais pourquoi avoir fait ça, au final ? répliqua Isabelle.

– J’y arrive, patiente un peu, tu casses ma mise en scène, petite… dit l’officier. Donc, je reprends. Vous vous demandez sûrement pourquoi la police a manigancé tout ça, n’est-ce pas ? nous dit-il avec un ton qu’il voulait énigmatique.

Remarquant que personne ne lui répondait, il reprit :

– Et bien tout simplement pour l’arrêter, s’écria-t-il.

– Qui ça ? demandais-je, étonné.

– Elle ! répliqua l’officier, un air de victoire brûlant dans ses yeux lorsqu’il pointa le fond de la salle.

Tous nos regards se tournèrent dans cette direction où, à mon immense surprise, se tenait Alice…

– Mademoiselle Sofia Henderson, vous êtes arrêtée pour cause de nombreux meurtres et tentatives d’assassinats !

Alice sursauta, les yeux écarquillés et le teint blafard. Elle marmonna quelque chose dont je ne compris que « ça devait bien arriver… » et « j’ai été bien naïve… ». Mr Brown s’approcha d’elle, lui mit des menottes, et l’entraina brusquement dehors, où les attendait tout un régiment de soldats entourant un hélicoptère. Abasourdi, je regardais mon amie partir vers cet engin volant, vers l’échafaud, dont le vent provoqué par ses hélices faisait lentement voler ses cheveux de ce bleu si perçant dont j’avais été tellement surpris lorsque je l’avais rencontrée. Il y a une chose dont j’étais sûr, c’est qu’elle était innocente et je comptais bien me battre pour le prouver…